Pauline Jurquet. Au fil de la terre aux Réalités Nouvelles



Au sein des allées du salon Réalités Nouvelles, surgit une masse rosée volumineuse, circulaire, nantie d’un col courbé vers le sol, qui semble couverte d’écailles… Carapace d’un tatou ? Pangolin géant sans tête ni pattes ? Au toucher, la rugosité des écailles laisse place à la douceur d’une porcelaine sans aspérités. Et en fait d’écailles, des alignements très réguliers d’empreintes de doigt entourent la totalité de la céramique. Auteure de cette œuvre intitulée Abondances, Pauline Jurquet est la lauréate 2018 du Prix Art Absolument pour les Réalités Nouvelles, qui se sont tenues du 21 au 28 octobre au Parc Floral à Vincennes.

En réalité, Pauline Jurquet dit surtout aimer explorer « les rituels reliant les hommes à la terre » et reprend ici un de ses thèmes familiers – la corne d’abondance. « Mon idée était de travailler cette corne comme une forme en soi et de la décentrer. Au lieu de la coucher, d’en faire abonder quelque chose, l’abondance provient plutôt du motif et de l’apparition de la forme. » Autre défi de la jeune céramiste, la conjugaison difficile entre deux matières antagonistes, le grès rustique, « d’une force brute », et la porcelaine qui offre « la clarté et la fragilité de la lumière ». Dans Abondances, la forme de base est en grès, tandis que la porcelaine permet d’obtenir un subtil dégradé allant du blanc au rouge-rosé. Or chaque matériau requiert des temps de cuisson et de température différents, toute céramique mixte demande une maîtrise certaine, d’autant plus que cette pièce a dû être cuite en deux temps : son four trop petit ne peut accueillir le tout d’un seul bloc.
Une maîtrise que Pauline Jurquet peaufine depuis ses 24 ans et sa rencontre à Bourges avec Jacqueline Lerat, pionnière du renouveau esthétique d’un art mal connu à cause de l’usage fonctionnel des poteries, porcelaines et faïences, et pourtant adopté par Gauguin, Picasso, Léger, Miró et tant d’autres. Pendant six mois, la jeune céramiste part en étudier les bases au Mali, auprès des célèbres potières de Farako. Elle y apprend l’art du moulage au colombin qui offre plus de liberté que le tour des potiers. De retour en France, Pauline Jurquet met de côté les Beaux-Arts de Quimper et installe son atelier dans le Lot-et-Garonne. Proche de la nature, les artistes qui la magnifient l’intéressent – Penone et l’Arte povera – comme ceux qui renouvellent le langage céramique – tel Johan Creten. En 2012, nouvelle rencontre décisive : à Cahors, l’artiste Benoit Rouer l’introduit à la peinture, à l’écriture et aux installations. S'en suit la construction d’aquariums géants mobiles dotés d’objets ayant vécu, puis l’installation dans un nouvel atelier baptisé « Bicéphale » où les deux artistes conjuguent vie et création, chacun dans son registre personnel, et multiplient les projets. « Il n’y aurait qu’un langage. Deux mondes à réunir, d’une pièce à l’autre, un voyage. »

Extrait de l'article de Pascale Lismonde, publié dans le N°86 de la revue Art Absolument.
Parution le 22 novembre 2018

Exposition Pauline Jurquet et Benoit Rouer. Empreinte de l’âme. Centre culturel André Malraux, Agen. Du 15 novembre 2018 au 11 janvier 2019


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