Vivre et créer en Guadeloupe



En 2009, les crises touchant les économies insulaires entraînent une longue grève générale, paralysant la Guadeloupe. Dans le même temps, la création d’événements artistiques vient ébaucher une réponse au sentiment partagé de ne pas être pleinement inclus par la métropole. Créé par l’association Frère Independent, Pool Art Fair, qui fête en 2019 ses dix ans, en fait partie, affirmant la singularité culturelle du paysage artistique en Guadeloupe, en sympathie avec la pensée d’Édouard Glissant, pour qui « la créolisation est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre ».

Après avoir repris d’une écriture rageuse les discours du 11-Septembre de Ben Laden et Bush côte-à-côté comme une fresque murale, Thierry Alet mêle dans ses aquarelles acides animaux et chimères, hybridations caraïbes et figurations personnelles sur les mythes qui traversent le monde. Fondateur de la foire, il est ainsi activement engagé dans Art Ruche, un espace d’exposition dédié à l’art contemporain à Pointe-à-Pitre. Avec sa série de dessins Lespwineg, Jérôme Sainte-Luce s’inscrit pour part dans cette figuration où la flore et la faune insulaires rejoignent l’humain, en exhumant la culture amérindienne, élément fédérateur de l’histoire et du patrimoine caribéen. Habdaphaï, artiste martiniquais, expose pour sa part des installations composées de modules de barbies grimées, se réappropriant ces ambassadrices de toutes les cultures, et de jeans délavés et tailladés. Sur une île où les termes « black », « nègre », « mulâtre » ou même « chabin » sonnent comme un écho pas si lointain, ses œuvres, intitulées La Peau sauvée pour reprendre l'expression créole désignant la promotion sociale par le métissage, abordent le phénomène de blanchiment de la peau, tandis qu’autrefois cette décoloration était le signe tangible des classes ouvrières travaillant dans l’industrie du jeans. Avec quelque 50 artistes, Pool Art Fair cultive cette esthétique du divers, où des œuvres embrassant culture enfouie et ouverture au monde côtoient des démarches plus sociétales.

Extrait de l'article de Carla Beccaria, publié dans le N°89 de la revue Art Absolument. Parution le 19 juillet 2019


Visuel : Adad Hannah. The Raft of the Medusa (Saint-Louis) Video 2. 2016, vidéo HD, 7 min 58. Production en coopération avec la communauté de Saint-Louis, Sénégal.


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