L’artiste catalan Antoni Tapiès est mort



Malade depuis plusieurs mois, l’artiste catalan Antoni Tapiès est décédé le 6 février à Barcelone à l'âge de 88 ans.

S’il fallait réécrire l’histoire de l’art au XXe siècle, ce décès en serait sans doute le point final. Comme Henri Matisse, après des études de droit et des problèmes de santé, l’autodidacte Antoni Tapiès se met sérieusement devant son chevalet, entamant un corps à corps avec la création qui durera près de 60 ans. Né Catalan et devenu artiste, il ne peut échapper à la sphère d’influence picassienne autour de laquelle gravitent ses premières réflexions tant picturales que sculpturales. Dès les années 1940, il copie les tableaux de cet illustre compatriote, bien avant de le rencontrer à Paris. Passionné de musique et de philosophie tant extrême-orientale que nietzschéenne, Tapiès, à l’instar de ses parents issus de la petite bourgeoisie barcelonaise, peut compter sur son érudition : son œuvre en sera le plus bel écho. Cette dernière, territoire libre, ne fut jamais annexée totalement par telle ou telle influence d’un courant ou d’un artiste. Il flirte avec le Surréalisme, dans sa version catalane avec « Dau al Set », le courant qu’il crée en 1948 et sa revue éponyme qui l’accompagne jusqu’en 1956. Durant cette période, la galerie Layetanas à Barcelone, lui ouvre ses portes pour sa première exposition personnelle…il y en aura bien d’autres. Deux ans plus tard, il participe à la Biennale de Venise et accède à une notoriété internationale. L’astre créatif gravite dans les années 1960-70 autour de l’Arte povera italien et le minimalisme américain, employant des matériaux de récupération pour réaliser des collages hétéroclites. Papiers collés, fils, cartons : la matière est au centre de ses recherches. La terre et le sable qu’il intègre à ses compositions traduisent l’ultime témoignage de la fragilité de l’être et des fragments du monde en ruine très influencé, comme son ami Salvador Dali, par la peur d’un cataclysme atomique. Prendre des matériaux triviaux pour réaliser une œuvre sortant de l’ordinaire, sublimée par l’œil neuf d’un artiste d’avant-garde. Son farouche attachement à sa Catalogne natale qui le pousse dans les bras, ou plutôt les pinceaux, de Juan Miro, infléchit son œuvre, en la teintant d’une conscience politique, dans la trame de Guernica. Tapiès a accompagné l’histoire de son pays de la guerre civile jusqu’à l’arrivée de la démocratie, lors de la chute du franquisme. Depuis le milieu des années 1980, la fondation Tapiès, sise à Barcelone, outre la promotion de la création contemporaine, conserve une collection permanente d’œuvres de l’artiste et organise des expositions, dont la dernière a eu lieu en 2010. Avec plus de 8000 œuvres et 7 livres écrits, le siècle de Tapiès aura dévoilé sa prolixe matière, irriguant la création au-delà des sillons catalans.

Romain Arazm


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