Johannes Vermeer

1632 (Delft) / 1675 (Delft)

Concentrant ses efforts sur des portraits de femmes lisant une lettre, accordant un luth, ajustant un collier ou se regardant dans un miroir, le peintre aurait-il mis en images la théologie dévotionnelle secrètement enseignée par les pères jésuites dans ses minutes de silence ? La Femme au collier de perles se contemplant dans un miroir pourrait renvoyer à une vanité mettant en scène Frau Welt, allégorie médiévale allemande de la Femme-Monde, tentatrice des plaisirs transitoires au détriment du salut de l’âme, tandis que la douce Femme à la balance choisirait Dieu plutôt que le Jugement dernier représenté derrière elle, en se livrant à un exercice spirituel d’Ignace de Loyola. De la même manière, La Dentellière perçue en gros plan et en pleine concentration sur son ouvrage, un livre posé devant elle, serait une image de la rectitude à adopter entre travail manuel et spirituel, tel qu’enseignée à l’école catholique de ses filles. Quant à l’usage de la camera obscura, qui permettait de faire le point sur un objet lumineux – on songe au visage surexposé de la femme dans L’Officier et la jeune fille souriant de la Frick Collection – tout en observant un certain flou autour, il pourrait une fois encore avoir été encouragé par les Jésuites d’Oude Langendijk, qui considéraient cet appareil comme l’œil de Dieu. On ne peut tout à fait considérer Vermeer comme un peintre catholique dans un pays protestant qui dissimulerait des indices cryptés de sa foi. Mais force est de constater qu’après avoir peint le profane dans le sacré avec Le Christ chez Marthe et Marie, cet artiste du corps perdu dans l’âme pourrait bien avoir traqué le sacré dans le profane avec ses demoiselles en détresse et ses cavaliers riants qui luttent contre leurs démons intérieurs.
(Emmanuel Daydé)


Portrait // Autoportrait présumé, dans L’Entremetteuse (détail).
1656, huile sur toile, 143 × 130 cm.
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde.



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Numéro 105






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