LA CHRONIQUE DE PASCAL BONAFOUX



LIVRE : Les Primitifs flamands d’Erwin Panofsky. Édition Hazan

LA CHRONIQUE DE PASCAL BONAFOUX
“Primitif”, vous avez dit “primitif” ?


Un dictionnaire nécessairement rigoureux et cohérent l’affirme, le confirme : un primitif est un “artiste (et surtout peintre) antérieur à la Renaissance, en Europe occidentale – Primitifs flamands, italiens, allemands, français”. Comme primitif se dit des groupes humains (anciens ou contemporains) qui ignorent l’écriture, les formes sociales et les techniques des sociétés dites “évoluées”, comme il désigne dans le langage courant ce “qui a les caractères de simplicité, de naïveté ou de grossièreté qu’on attribue aux sociétés, aux institutions naissantes, aux hommes des temps reculés”, ce qui lui vaut d’être le synonyme de grossier, inculte, fruste, rudimentaire, etc., il est inutile de mettre des points sur les “i” de primitif pour vérifier qu’ils ont la même saveur que celui du mépris. Celui-ci est au rendez-vous dans L’Art médiéval d’Élie Faure, son Introduction à l’Art italien : “Sienne, et au premier plan Duccio, son plus grand maître, reste enfoncé dans les formules byzantines” et, au cas où l’on aurait mal compris, d’enfoncer le clou : “Guido, Cimabue, Duccio même, le noble Siennois qui retrouva dans la tradition byzantine l’âme réelle de la Grèce et traduisit humainement pour la première fois le drame de la Passion, n’avaient pu défoncer la gangue hiératique que les peintres de Ravenne et les mosaïstes envoyés par Constantinople proposaient à leurs désirs.” Inutile donc de s’attarder. Les monumentaux deux volumes consacrés par Citadelles et Mazenod à la fin des années 90 (du siècle dernier) à L’Art italien – somptueux volumes de plus de 600 pages chacun –ignorent, ou presque, ces primitifs… Le premier volume publié en 1997 ne fait guère que les évoquer. Pour conjurer ce dédain (avec un “i” comme dans primitif), l’introduction la plus fascinante qui soit demeure Les Primitifs flamands d’Erwin Panofsky. Dans l’édition qu’il en donna en 1992, Éric Hazan dut rappeler que “ce livre est devenu un classique et constitue ce qu’il est convenu d’appeler une somme, et relative à un sujet qui reste trop mal connu, en France notamment”. Dix-sept ans plus tard, il n’est pas sûr qu’“en France notamment”, les choses aient beaucoup changé… Et le livre de Panofsky n’a cessé d’être une somme, laquelle, en dépit du titre, est loin de ne concerner que la Flandre. C’est à une fascinante traversée de l’Europe qu’il convie de page en page, avec autant de scrupule que de verve, autant d’érudition que de fougue. Le parti politique qui inciterait à sa lecture à la veille des prochaines élections européennes mériterait que l’on vote sans réserve pour lui. Chiche !


 Retour     |      Haut de page