Walter Benjamin, L’ange assassiné


Tilla Rudel,
Éditions Mengès/Destins


Walter Benjamin aura manqué son rêve d’anonymat. Avec éclat. C’est ce qu’affirme la riche biographie de Tilla Rudel, qui s’engage avec audace sur les traces du parcours fragmenté du philosophe allemand. Celui qui aspirait à “ne pas être reconnu”, penseur sous-terrain au sein d’une Europe déchirée, se dévoile au fil d’une intimité complexe, que seuls les témoignages de son entourage prestigieux (Brecht, Scholem, Adorno, Arendt...) parviennent à mettre en lumière. Fasciné par le judaïsme, passionné par le marxisme, Benjamin multiplie les disciplines, entre mystique et matérialisme. Bouleversant toute notion de système, l’auteur berlinois incarne la pensée de la modernité qui lui vaudra une gloire posthume retentissante. Philosophe, critique d’art, historien, penseur de la littérature, le “Socrate des temps modernes” déroute, bouscule, ébranle les conventions de l’écriture sous l’impulsion d’une plume protéiforme. L’apport biographique invite à saisir l’ambivalence profonde d’un créateur de génie, qui évolue dans les sphères de la pensée sous le signe de la mélancolie. À l’image de l’artiste maudit, le penseur francophile, traducteur de Baudelaire et de Proust, semble condamné à l’errance. Figure sombre et solitaire, travaillée par l’idée du suicide, dévorée par des idylles impossibles, touchée par la pauvreté, l’intellectuel marginal développe autant de facettes douloureuses qui placent son destin sous le signe de l’exil. Au-delà d’une souffrance latente, se dégage pourtant une détermination sans limite, qui fait effet dans le contexte d’une Europe qui s’effondre : déployant ses ultimes forces, l’homme affichera son refus de quitter le vieux continent au nom de la culture et de la pensée. Une résistance qui achèvera son exil: il met fin à ses jours à la frontière franco-espagnole avant d’avoir pu mener à bien sa fuite vers l’Eldorado américain. En quête d’idéal désenchanté, Benjamin disparaît, marquant des générations dans “la pureté et la beauté de l’échec”, comme un hommage à l’œuvre
de Kafka.

Elsa Assoun



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